Le Mariage de Figaro, ou La Folle journée, est la deuxième pièce d’une trilogie (Le Barbier de Séville et La Mère coupable sont les deux autres œuvres).
Au cours de la pièce, le comte Almaviva cherche à exercer son droit du cuissage sur Suzanne, la future épouse de son valet Figaro et femme de chambre de la comtesse Almaviva, épouse du Comte.
Mais Figaro ne le laissera pas faire.
La scène 5 de l’acte III présente un jeu de manipulation entre le Comte et Figaro. Afin d’éloigner son valet de son château pour disposer librement de Suzanne, le Comte veut l’envoyer à Londres. Dans cette scène 5, le Comte cherche à savoir si Figaro connaît ses intentions immorales vis-à-vis de Suzanne, tandis que Figaro, en se jouant du Comte, cherche à déjouer ses plans.
Le Comte, à part.
Il veut venir à Londres ; elle1 n’a pas parlé.
Figaro, à part.
Il croit que je ne sais rien ; travaillons-le un peu dans son genre.
Le Comte
Quel motif avait la comtesse pour me jouer un pareil tour ?2
Figaro
Ma foi, monseigneur, vous le savez mieux que moi.
Le Comte
Je la préviens sur tout, et la comble de présents.
Figaro
Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire ?
Le Comte
… Autrefois tu me disais tout.
Figaro
Et maintenant je ne vous cache rien.
Le Comte
Combien la comtesse t’a-t-elle donné pour cette belle association ?3
Figaro
Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ?4 Tenez, monseigneur, n’humilions pas l’homme qui nous sert bien, crainte d’en faire un mauvais valet.
Le Comte
Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours du louche en ce que tu fais ?
Figaro
C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts.
Le Comte
Une réputation détestable !
Figaro
Et si je vaux mieux qu’elle ? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ?
Le Comte
Cent fois je t’ai vu marcher à la fortune, et jamais aller droit.
Figaro
Comment voulez-vous ? La foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse ; arrive qui peut, le reste est écrasé. Aussi c’est fait ; pour moi, j’y renonce.
Le Comte
À la fortune ? (À part.) Voici du neuf.
Figaro
(À part.) À mon tour maintenant. (Haut.) Votre Excellence m’a gratifié de la conciergerie du château ; c’est un fort joli sort : à la vérité, je ne serai pas le courrier étrenné des nouvelles intéressantes ; mais, en revanche, heureux avec ma femme au fond de l’Andalousie…
Le Comte
Qui t’empêcherait de l’emmener à Londres ?
Figaro
Il faudrait la quitter si souvent, que j’aurais bientôt du mariage par-dessus la tête.
Le Comte
Avec du caractère et de l’esprit, tu pourrais un jour t’avancer dans les bureaux.
Figaro
De l’esprit pour s’avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et l’on arrive à tout.
Le Comte
…Il ne faudrait qu’étudier un peu sous moi la politique.
Figaro
Je la sais.
Le Comte
Comme l’anglais : le fond de la langue !
Figaro
Oui, s’il y avait ici de quoi se vanter. Mais feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ignore ; d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend ; surtout de pouvoir au delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point ; s’enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond quand on n’est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets, intercepter des lettres, et tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par l’importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !
Le Comte
Eh ! c’est l’intrigue que tu définis !
Figaro
La politique, l’intrigue, volontiers ; mais, comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra ! J’aime mieux ma mie, oh gai ! comme dit la chanson du bon roi.
BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro, Acte III, scène 5, 1784
1. elle : Suzanne
2. Le Comte a surpris un jaune page, Chérubin, chez la Comtesse. Il la soupçonne d’adultère.
3. Le Comte se sent trahi par son valet car il reproche à Figaro de favoriser l’adultère de la Comtesse.
4. Figaro rappelle ici l’intrigue du Barbier de Séville (première œuvre de la trilogie de Beaumarchais) : il a aidé son maître, le Comte, à épouser la jeune Rosine – qui deviendra la Comtesse Almaviva – au détriment du vieux docteur Bartholo.
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